PARIS, CAPITALE DU XIXEME SIECLE
Ciné-club de Caen - Janvier 2011
"Au sein du format vidéo moderne, défile une pellicule au standard des premiers films sonores, pastiches d'images abîmées, de prises alternatives ou refusées, renvoyant leurs défauts à la bande son qui craque. Des citations littéraires d'auteurs du XIXe siècle servent d'introduction à des lieux types de la capitale d'alors : intérieur bourgeois, passages couverts d'étals marchands, grands magasins..
"Chaque époque rêve la suivante" avait prédit Michelet et défilent alors Tour Eiffel, Opéra, métro aérien...
Paris capitale du XIXe siècle nous promène dans un Paris familier, fortement marqué à l'aune du XIXe et de ses auteurs, mais encore bien reconnaissable.
Cette démonstration que l'on peut encore aujourd'hui filmer un Paris du XIXe siècle avec une caméra vidéo a valeur politique. Pour Benjamin Bardou : "Le cinéma d'aujourd'hui ne filme pas le réel. S'il le faisait, il nous renverrait l'image d'un monde en ruines. C'est pourquoi il doit être un instrument du réveil qui permette à l'homme de vivre dans l'instant présent et non plus dans les rêves et les mythes du XIXe siècle."
"Ceux-ci, explique Benjamin Bardou, le philosophe allemand Walter Benjamin les avaient analysés dans son livre "Paris capitale du XIXe siècle". Pour lui, "le capitalisme fut un phénomène naturel par lequel un sommeil nouveau, plein de rêves, s'empara de l'Europe". Ainsi, à Paris, au travers des travaux d'Haussmann, le capital remodèle l'espace et le temps de la ville. Tout ceci constitue une expérience nouvelle pour le citadin, un sentiment bien décrit dans la poésie de Baudelaire, celui du choc de la grande ville.
Cette équivoque modernité va être intégrée par les images saisissables et rassurantes de la lithographie mais aussi du cinéma qui permet d'appréhender le choc traumatique de la ville en l'intégrant à son dispositif (le cinéma n'est-il pas la succession de 24 chocs/seconde?)."
Paris capitale du XIXe siècle expose la facilité du cinéma à devenir fantasmagorie, à cacher, telle la matrice de Matrix, la ville du présent derrière un Paris, capitale du XIXe siècle. "
Jean-Luc Lacuve
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Shangols - Janvier 2011
"C'est un lecteur de ce blog qui a réalisé ce court-métrage, nous nous devions donc de le commenter comme il se doit. D'autant que voilà un film ma foi bien intrigant comme on les aime, un de ceux qui savent convoquer les fantômes et utiliser le pouvoir "invocateur" du cinéma avec beaucoup d'intelligence.
Bardou s'attaque à trois thèmes qui semblent le questionner : la ville, la modernité, le cinéma, et le rapport entre eux. Il réalise donc un film muet, qui, dans son grain, dans ses intertitres aux lettrages ouvragés, dans ses rayures et autres (faux) accidents de pellicule et de son, rappelle effectivement les premiers temps du cinéma.
Au premier plan fixe (un intérieur bourgeois surgi du néant, vide et effrayant), c'est Murnau qui vient à l'esprit, et on commence à sentir où le bougre veut en venir : décrire le monde d'aujourd'hui comme s'il s'agissait d'un rêve fantômatique, d'un fantasme légèrement inquiétant, d'une réminiscence du passé, à travers la puissance de "résurrection" du cinéma.
La ville (Paris, qui va être filmée à travers ses grands magasins, ses vitrines, ses rues, ses bâtiments haussmaniens) va devenir le lieu des fantômes, et ses habitants des spectres qui impressionnent plus ou moins la pellicule, filmés de loin, comme des tâches de plus en plus indistinctes au fur et à mesure que le film se raye et retourne au néant : vitrines démodées et pourtant contemporaines, bribes de façades à l'ancienne, êtres sans âge, tout est attaché au passé, alors qu'on sent bien que ce qu'on nous montre là est ancré dans le présent, et que seule la technique de filmage lui confère cette aura presque morbide.
Bardou utilise pas mal de techniques des premiers temps, éprouvés par les pionniers comme Vertov, Muybridge ou Feuillade : l'image subliminale (on attrape même, ce me semble, l'affiche de A Bout de souffle dans l'emballement strident des images à la moitié du film); le "hiatus" des plans, qui, montés ensemble, finissent par créer une troisième idée inattendue ; le travelling naturel, c'est-à-dire qu'on pose sa caméra sur un véhicule en mouvement et on filme (ici, c'est le métro)... Autant de techniques qui rappellent, oui, le XIXème siècle, les premiers temps du cinéma autant que ceux (comme le rappelle le sieur dans sa présentation) des grands travaux de la ville et du capitalisme.
Faire coller ainsi l'évolution des techniques de captation et celles de la construction du monde urbain moderne, tout en développant un esprit politique feutré, est la grande qualité de ce film halluciné, à cheval entre la rêverie sous influence (Baudelaire et ses paradis artificiels sont cités) et le documentaire.
Bardou devrait bien s'entendre avec le Arnaud des Pallières de Disneyland mon vieux pays natal, m'est avis. Comme il lira sûrement ce modeste commentaire de son beau film, je l'engage à jeter un oeil là-dessus.
En attendant, je remercie en ce lieu Mr Bardou de m'avoir fait passer ces 10 minutes précieuses."
Shangols
TABLEAUX PARISIENS
Présentation
« Zum Raum wird hier die Zeit. Ici, le temps devient espace. » Parsifal - Wagner
À travers plusieurs volets (No.1, No.2, etc...) les 'Tableaux parisiens' proposent une actualisation des images du passé par la technique du montage. Utilisant le procédé allégorique de la poésie baudelairienne et l'image dialectique de Benjamin ce film tente de dynamiter le mythe d'une continuité historique véhiculée par l'idéologie du progrès.
« Une image est ce en quoi l'Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation ».W. Benjamin
Le film 'Tableaux parisiens' compose une mosaïques d'idées et d'images sans rapport créant ainsi des lignes de forces tendues à leur maximum pour faire surgir une image de l'instant présent ou constellation.
La composition de ces lignes de force se rapproche de l'expérimentation scientifique. Comme un chimiste qui procède avec les éléments de la table périodique il expérimente des rapprochements d'images et de sons éloignés de par leur sujet. Faire réagir chimiquement la pellicule c'est décomposer l'Histoire des vainqueurs.
En effet, l'historicisme représente la tentative pour enrichir artificiellement une expérience appauvrie. Il occulte la rupture qui s'est produite dans la tradition, celle qui sépare le temps figé de l'archaïque et celui convulsif, accéléré et sans but de la modernité.
L'historicisme tente de rapporter à la vie ce qui a été pétrifié et réifié. Pour Walter Benjamin il faut accepter le temps hölderlinien de pauvreté dans lequel on vit, l'état de privation de l'expérience, partager le sort de l'époque et de la classe où cette pauvreté se manifeste.
Contre l'historicisme qui fait mouvoir ce qui est immobile, il faut viser à arrêter ce qui est en mouvement, à bloquer le train du progrès et de la révolution, à montrer la faciès hippocratica de l'histoire.
Dans la monade, dans sa cristallisation soudaine - à partir d'un arrêt et d'un choc - d'une cristallisation de pensées, ce qui avait été fixé avec rigidité reprend vie dans sa perspective historique. La monade, point de vue fixe se révèle comme l'unique mode susceptible de donner sens, horizon à la pluralité chaotique des évènements. C'est alors un présent qui s'oriente en fonction des attentes du futur.
Le montage cinématographique peut reconstruire ce processus depuis les fragments explosés du passé. Ce passé, pénétré et actualisé dialectiquement, révèle avoir en lui-même une charge explosive de futur comprimé, de possibilité interne de modification que la Jetzt-Zeit fait sauter.
La vraie connaissance, celle dont les formes contiennent les expériences temporelles non réifièes est analogue à l'éveil. Le passé est alors non pas comme un recueil fixe de souvenirs mais comme des images d'un rêve que seul le présent éveillé interprète et situe dans sa tension vers le futur.
La conscience éveillée est ainsi simultanéité/synchronie avec les images du passé.
Les manifestations de la surface sont les rêves éveillés du collectif présents particulièrement dans le cinéma et la publicité. Dans ces histoires invraisemblables il s'agit de désirs réprimés et d'utopies non réalisées.
Il faut brosser l'histoire à rebrousse-poils. Extirper le document de son contexte historique c'est décloisonner une époque de sa technique.
Avec le noir et blanc d'Auschwitz, on peut aisément proclamer, la main sur le coeur: « Plus jamais ça! ». Mais la catastrophe est permanente.
En mélangeant quatre techniques distinctes (pellicule noir et blanc, pellicule couleur, support analogique type retransmission TV et support numérique type DVD/BluRay), les 'Tableaux parisiens' se donne pour objectif de faire surgir les images latentes de notre société, aussi bien les rêves que les ruines.
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Ciné-club de Caen - Août 2012
" Le ciel, l'espace, les monuments parisiens. La mer, images vidéos, surimpressions. La destruction et le nazisme. Le rappel de la 1ere guerre mondiale, espace, ciel. La voix de Gilles Deleuze. Des ouvriers refoulés aux grilles des usines. Tableaux. Extraits de films d'actualité sur les chaines de montage, d'Octobre, attentats en Algérie. Slogan : La liberté de la presse c'est la liberté d'être tous d'accord.
À travers plusieurs volets (No.1, No.2, etc...) les 'Tableaux parisiens' proposent, selon Benjamin Bardou, une actualisation des images du passé par la technique du montage. Utilisant le procédé allégorique de la poésie baudelairienne et l'image dialectique de Benjamin ce film tente de dynamiter le mythe d'une continuité historique véhiculée par l'idéologie du progrès.
"Zum Raum wird hier die Zeit. Ici, le temps devient espace." (Parsifal - Wagner), "Une image est ce en quoi l'Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation". (Walter Benjamin)
Bel exercice de montage rappelant les Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard. "
Jean-Luc Lacuve
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Dérives.tv
Tableaux obsidionaux.
Benjamin Bardou est l'auteur inspiré de Tableaux Parisiens. Est-ce un film de montage? Seulement de montage? De montage comme d'autres, à la télévision ou ailleurs, en publicité, en entreprise, parlent de montage d'idées-couleuvres à faire avaler; usent du montage comme d'une hybridation ou déviance du réel en vue de « monter » un propos, fabriquer un point de vue, créer une opinion – et l'actualité ne cesse de le rappeler, « monter » c'est avant tout monter les uns contre les autres -; au sens encore d'élaborer une « fausse parole », et il serait alors intéressant, à l'intérieur même de l'histoire des propagandes, de cerner l'état actuel du mensonge, sa forme spécifique qui, de la simple manipulation langagière ou imagière avec pour but assigné la conviction, la connivence de son réceptionnaire, se mue en ce que l'anglais nomme « hoax », le ver dans le fruit, le canular dont personne n'est dupe des manipulations psychologiques à l'oeuvre, mais qui à l'opposé de la forme classique d'un mensonge manipulateur de foule est le parasite, objet même de manipulation par l'opinion : une propagande qui quitterait les imaginaires collectifs pour l'espace mouvant et virtuel... N'avons-nous pas plutôt là une film de re-montage : un film qui tourne le dos au démontage des usines, des êtres, au démontage du génome, de l'appareil neurologique, de la chaîne de production, et au cinéma de (dé)montage des faux-semblants, des apparences, dans des oeuvres critiques qui apparaissent parfois comme l'expression vaine de la raison; des films qui n'échappent pas à un certain ron-ron, au confort de celui-qui-sait et qui, tel le scorpion se piquant, retourne les armes (intellectuelles acquises) contre lui-même; qui laissent l'impression d'un vide inutile – d'un cinéma de déminage, d'un cinéma peureux, craintif de l'amputation et de la blessure à vie, à vif. Cinéma de re-montage, donc, de construction, d'utilisation de « blocs » - images et séquences – abandonnés à l'histoire, remontant une temporalité qui n'est pas seulement le temps sagittal, ni la continuité historique; un cinéma qui redresse un re-gard (à l'exemple de la fonction du regard en architecture), pour mieux re-vivre, ouvrir son spectateur à l'expérience. Que l'on ne s'y trompe pourtant pas, remonter ne signifie pas forcément revoir, retrouver le passage vers une histoire sous entendue souvent comme notre histoire, en un mot renouer. Peut-être s'agit-il seulement que perdure le caractère spectrale des images, et, contre la conception d'un progrès continu et son immédiat contraire le temps cyclique, l'éternel retour, - avec Walter Benjamin, - d'assumer la complexité, le morcellement, l'émiettement, la fragmentation de nos perceptions, de notre condition, d'adopter un regard d'ange déchu (un plan fameux de Péléchian l'illustre) en embrassant la catastrophe, d'être et de vivre ainsi que le théorise Serge Margel à hauteur d'apocalypse, c'est à dire peut-être dans le spectre des choses.
Benjamin Bardou a savamment expliciter sa démarche, qui semble n'être ni celle du progrès, ni celle de l'historicité, qu'elle soit flux continu qui emporte - avec lequel nous faisons corps sans possibilité de se dégager, d'avoir le recul nécessaire à une vue d'ensemble, qui immerge, noie d'informations, et nécessite pour entrevoir un avenir incertain de se situer, d'envisager la perspective et donc d'établir l'histoire -, qu'elle soit boucle, retour du même, constitutif d'un hypothétique génie du lieu. Deux perceptions qui ont conjugué dans la récente installation « Paris, la Ville à remonter le temps ». Une série d'écrans en demi cercle permettait de « voyager » en 3D dans le passé de la capitale, rassemblant dans le génie du lieu une chronologie, une frise, passant outre le corollaire à tous événements, la ruine... Etrange palimpseste auquel répond celui de Bardou fait de rapports, des disjonctions qu'ils induisent, de « correspondances », des « lignes de forces tendues » (BB), de décompositions « de l'histoire des vainqueurs », et ce pour mieux dresser des « tableaux vivants » où la ville apparaît effectivement comme une constellation : constellation des possibles réalisés, de sa réalité et de son présent, de ce qui aurait pu arriver, des traces de ses ruines, de ses ruines passés, futurs, potentielles. Nulle besoin de la 3D, de la grandiloquence de l'installation, pour brosser ce palimpseste, ou pour être plus précis un portrait obsidional. Benjamin Bardou cite Walter Benjamin : « Une image est ce en quoi l'autrefois rencontre le maintenant dans un éclair pour former une constellation ». Cette rencontre de l'autrefois et du maintenant, ce frottement, ne peut-elle être engendrée, voir se superposer à cette définition d'un type d'obsession et de sa mélancolie et que l'on trouve dans le magnifique Usage des Ruines de Jean-Yves Jouannais : « La mélancolie est produite par le mouvement de l'auteur autour de son objet, par le frottement occasionnée par cette giration approchée »? Obsessionnel, obsidional est cette tangente source de friction entre un sujet et l'objet qui l'assiège. « Assiéger, c'est obséder » note Jouannais. Sebald, avec notamment son ouvrage De la destruction comme élément de l'histoire naturelle, Stig Dagerman, et peut-être Benjamin Bardou selon notre hypothèse, découvrent que « le spectacle des ruines est à même de faire chanter [leur] obsession, de lui donner voix. Encore une fois, il s'agit là moins d'un spectacle que d'un contact, d'un frottement. » Ou encore, citons longuement L'usage des ruines, c'est Enrique Vila-Matas qui parle par l'entremise du malicieux auteur/narrateur : « Ce autour de quoi vous tournez, toi, Sebald, ce sont les ruines. Vous ne les quittez pas des yeux et votre attention à leur égard ne se relâche jamais. Mais vous n'y pénétrez pas. Qu'il y ait là calcul ou innocence, il n'en demeure pas moins que vous maintenez une distance constante avec les images des villes rompues, des vies interrompues, des vocations défaites. La portée des écritures est desaxée par la force de Coriolis qui explique également la déviation des trajectoires des bombes et des projectiles à longue portée. La mélancolie serait cela, de tourner longtemps, continûment autour des ruines. Et ainsi de pas les connaître. Ne pas les connaître afin que perdure leur caractère spectral, inouï. Ne pas les connaître pour que la littérature continue de graviter dans le champs des possibles. » Et l'ombre de Enrique Vila-Matas poursuit et ajoute que Sebald a décidé de pénétrer dans les ruines. Jean-Yves Jouannais/narrateur/personnage dira lui « ne pas demeurer sur ce seuil, mais plonger – suspendu au fil de l'imagination d'autrui – dans l'obsession, qui est le nom véritable de la mélancolie ».
C'est l'impression que nous laisse ce beau travail : d'être obsidional, d'avoir pénétré les ruines et de continuer le récit d'un siège (né de la Guerre de Troie). Traduit en terme de cinéma, ce serait reprendre « la bouche d'ombre » des Histoire(s) de Jean-Luc Godard, cet autre mélancolique, cet autre assiégé qui creuse un trou noir, le lac noir des images qui ne finissent pas de passées, quelques part, dans le lointain proche, l'étang sombre de la mémoire assailli de spectres, - un des films lac du cinéaste, mais au statut particulier, car l'auteur s'y plonge, y étudie la possibilité d'une île, tour à tour assaillant et assiégé -; ce serait reprendre « le mouvement secret de la matière » d'Artavazd Pelechian (JLG le cite abondamment dans le court-métrage « L'origine du XXIème siècle »), son utilisation « des images absentes », sa théorie disjonctive dans laquelle une troisième image peut naître du montage de deux, une image au statut incertain (inconsciente, métaphorique, une idée), par laquelle aussi une image voyage dans le film, peut produire des sens différents, des rythmes différents solidaire pourtant de l'organisation organique du montage, entre différence et répétition en somme. Reprendre ces éléments comme après la catastrophe on réemploi les pierres. Benjamin Bardou, à notre sens, ne cite pas ses auteurs, il ne se contente pas d'être inspiré par eux, mais il les pille; il leur emprunte les ruines qu'ils ont eux-même excaver, carrière à ciel ouvert; il re-monte un usage du cinéma en se servant des outils que ces deux maîtres ont forgés, réemployant des formes, inventant à partir d'elle un « regard » qui ne serait plus seulement ce que JLG décrit comme « une image qui aura d'ailleurs la forme d'un soupirail, cette petite chose au ras des trottoirs ». Il nous apprend à lire dans les ruines de notre temps des formes présentes.
http://www.derives.tv/spip.php?article293
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Le métro parisien recèle de quelques affiches trouées, entaillées au cutter, à la découpe droite d'un rapt d'images labiles, principalement carrés blancs visées, empruntées de la sorte. Il faut dire que l'oeil déjà absent d'un début de journée difficile, louche sur le blanc comme sur le vaste espace. Le bombardement d'images d'une époque tapisse le résidu urbain visuel, si facilement happé par une fatigue souriant de connivence aux trafics de seconde main, à l'insu de la surenchère des publicitaires. Où partent ces carrés blancs, vers quels rapiéçages ingénieux? Les trouées du cut auraient-elles quelque rapport avec les échappées et les regards vers les cieux et leurs gros nuages pétris au souffle même d'une beauté? Le début des Tableaux parisiens pixelise le blanc, entre autres couleurs, et accélère les nuées à se confronter à une jonction de plans, à un tissu où la singularité détonne des rapprochements. Et puis, il y aurait urgence à répondre à tous les déclencheurs sonores des journées, les impératifs des boutons qui se répercutent sur la bande son du film, rendue par Benjamin Bardou à l'opacité de ce que le son cadencé porte d'obligé par la face mortifère du progrès, ici mis à jour.
Le travail du film ferait penser à une descente dans le lit du fleuve Histoire pour y trier les cailloux dans le courant, et non se stupéfier à la simple contemplation d'un flux passant. Ce n'est pas la constitution d'une série de cailloux d'archives simplement juxtaposés qui motive l'agencement, le geste ne se hasarde pas au jeter dans le dos des trouvailles, et comme pour l'artiste italien Luigi Lineri, la retenue des pierres a la volonté d'un faire oeuvre. Les pierres seraient, dans les tableaux parisiens, le rattachement aux oeuvres de ceux que l'on porte dans le coeur, et d'une réalité enchâssée dans le passé, à faire ré-advenir. Il y a du risque à manipuler l'archive, le risque de s'empêtrer dans une lecture personnelle d'un sens, et de prendre un vent d'incompréhension. Alors comment un caillou jeté dans le cours de l'histoire pourrait-il créer un paradigme de relecture? Comment peut-il augurer d'un regard à s'ouvrir à l'instar du diaphragme, encore à du nouveau, «est ce que nous pouvons garder artificiellement -ou d'une façon artistique- notre intelligence et notre envie tournées vers l'inconnu? Est ce que nous pouvons garder la liberté et le désir expérimental dans les nouvelles conditions historiques?» (Anders). Puisqu'il y a un défi à relever au sens historique, de ne plus appartenir au linéaire, et «de décomposer l'histoire des vainqueurs», la pratique d'un montage s'envisage ici à l'onde d'un déploiement et l'image d'une défaite, de défaire n'aurait plus de commune mesure avec celle des gagnants/perdants de l'histoire. Le déploiement d'images aurait des formes antinomiques de survenue, entre ricochet et coulée: ricochet à la réussite d'éclairs d'idées par déflagration (les plans de rapprochement sur une statue des Tuilerie main levée vers le ciel comme un derviche, entrecoupées d'images de rythme), ou au contraire, de pesanteur ancrée à un tournant lorsque la pierre se fait sonde à plonger par coulée, les parenthèses s'emboitant, un plan de rail et un travelling d'avion sur les ruines semblants à la durée d'une longueur infinie. Les séquences contribuent par ce qu'elles soulèvent de questionnement sur les vitesses de l'histoire à un rapport à l'ici et maintenant, à la surface d'un pli de ce qu'elles forment des adjonctions comme autant de scansion sabotée des habituels et lénifiants enchainements.
Des plans se répètent aussi, juste inversés dans leur sens de lecture droite gauche, comme le revers du même et la redite d'un cours, envers endroit d'une même catastrophe, mais à d'autres moments aussi dans une portée toute dialecticienne de ce qui pourrait échapper le temps d'une fraction à la répétition standard et stipule le détournement, en acquérant le laps d'un flottement. Avec un même plan, l'acte de re-montage peut faire beaucoup, et puisqu'il est question de tableau, c'est un peu l'histoire du mur d'Odilon Redon, avec un seul pan de mur qui suffirait à faire passer une vie de peintre à observer ce qui en apparait, en non plus forcement soulever des montagnes et épuiser via toutes les stigmates les possibles du voir, tout vu tout connu, des paysages. Entre l'étoilement et l'étiolement, il n'y aurait pas qu'une vague faute de frappe mais le bouleversement d'une frame, d'une image entravée de son cours (on pense à cette image presque stoppée d'une fuite d'un enfant, à l'arrivée d'une troupe, fut-elle le poing levé). Pour utiliser une autre image de Benjamin, ce ne serait pas le train lancé à toute vitesse des révolutions qui guiderait le montage d'images dans un surgissement volontariste mais la sonnette d'alarme tirée, pas trop pour freiner et alerter que pour faire apparaitre un autre rythme dans le corps d'une image qui en relève des séquelles de gestes qui par eux mêmes, dans un ralenti, défont le mouvement dans une onde où apparait une fuite, une sorte de régression à la multiplicité des commentaires et leur cadencé assommant. Les vitesses s'adjoignent dans le film à l'acte d'un traitement d'images, en régression de performance comme une modernité, contre une autre, auquel Agamben semble se référer selon le point d'achoppement qu'il ne lâche pas dans ses développements : «la régression «dionysiaque» de Enzo Melandri est l'image inverse et complémentaire de l'ange benjaminien. Si celui-ci avance vers l'avenir en tenant les yeux fixés sur le passé, l'ange de Melandri recule dans le passé en regardant vers l'avenir. Ils avancent tous deux vers quelque chose qu'ils ne peuvent pas voir, ni connaitre. Ce but invisible des deux images de processus historique est le présent. Il apparait au point où leurs regards se rencontrent, quand un futur atteint dans le passé et un passé atteint dans le futur coïncident durant un instant». La régression est une idée de repartir des images déjà tournées pour essayer de voir comment à notre tour on pourrait être transformé par l'onde rendue ici effective. Peut être que la différence entre vivre des images et exister à partir d'elles (les naufrageurs?) taraude le projet, et fait, en quelque sorte, qu'on a l'impression d'un film véritablement à sa manière, pas forcément à la manière de, comme dans une pièce de Beckett, à défaut de miette, sucer des cailloux à hauteur du temps qui file, selon que l'on en prend quelques uns ou un.